Messieurs les-ronds-de-cuir by Georges Courteline

Messieurs les-ronds-de-cuir by Georges Courteline

Auteur:Georges Courteline [Courteline, Georges]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, Littérature
Éditeur: Feedbooks
Publié: 2011-06-08T22:00:00+00:00


Chapitre 3

La cigarette jaillie des dessous de la moustache et les cuisses baignées de pénombre, celui-ci semait des signatures, pour ampliations conformes, au bas d’arrêtés ministériels. De sa dextre bien soignée il les étendait, griffes d’empereur, sur la demi-largeur du papier, puis immédiatement les séchait, le bloc-buvard secoué, en sa main gauche, du tangage précipité d’un petit bateau qui va sur l’eau.

Le chef entra, vint droit à lui, s’arc-bouta de ses doigts aux minces filets de cuivre qui cerclaient l’acajou de la table, et posa cette question bien simple :

– Je viens savoir de vous, monsieur, si la Direction des Dons et Legs est une administration de l’État ou une maison de tolérance.

M. Nègre – l’étonnement avait immobilisé net le double mouvement de ses mains – répondit :

– Qu’est-ce qui vous prend ? En voilà une drôle de question !

– Il me prend, répliqua M. de La Hourmerie, que M. René Lahrier reçoit des femmes dans son bureau, que je viens de le pincer sur le fait, que j’ai depuis longtemps contre cet employé de graves sujets de mécontentements, qu’à la fin la mesure est pleine et que l’un de nous deux – j’en donne ma parole d’honneur – aura cessé d’émarger au budget avant la fin de la journée.

Il n’y allait pas par quatre chemins. Il posait la question de cabinet ; rien de plus. Or M. Nègre, avec son petit air doux, était un monsieur très carré ; on ne la lui faisait que s’il le voulait bien, et capable d’acheter d’un livre de sa chair la sauvegarde de sa tranquillité, il avait des révoltes de mouton enragé le jour où une main téméraire tentait de la venir pourchasser jusqu’en ses derniers retranchements.

– Vous voulez vous en aller ? dit-il froidement au chef des Legs ; eh bien ! mon cher, allez-vous-en, que voulez-vous que je vous dise ?

Ceci coupa la glotte à de La Hourmerie, qui, s’étant attendu à tout excepté à ce qui arrivait, ne trouva qu’un amer sourire et qu’un lent élevé de ses cils vers le ciel. Il murmura : « Délicieux », et comme ses émois, volontiers, avaient l’ironie classique :

– Hic sunt prœmia laudi, fit-il. J’aurai donné à cette maison les trente plus belles années de ma vie pour en venir à ce résultat de me faire dire : « Prenez la porte. »

– Pardon ! rectifia M. Nègre ; je ne vous dis pas : « Prenez la porte », je vous dis : « Vous pouvez la prendre. » Ce n’est pas du tout la même chose. Quant à vos allusions discrètes à la façon dont vos mérites auraient été récompensés, je vous ferai humblement remarquer que vous avez huit mille francs d’appointements et la croix de la Légion d’honneur. Disons des choses sérieuses, n’est-ce pas ; soyons justes avec la vie et n’usons de la mise en demeure qu’avec une extrême réserve, car il est de ces caractères qui ne sauraient s’en accommoder. Voilà.

Ainsi parla le Directeur qui, dans le même temps, changea de ton et de visage.



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